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Les dreadlocks sont l’une des coiffures les
plus célèbres au monde. Connues pour avoir été associées aux rastafaris en
Jamaïque, les conditions de leur émergence restent toutefois floues.
Le fait de porter ses
cheveux comme des sortes de cordes est un phénomène largement attesté dans de
nombreuses cultures. Pourtant, c’est avec la popularisation du reggae des
années 70 qu’il est devenu un phénomène culturel global. Dans ce cadre, il est
d’ailleurs largement connu sous son nom jamaïcain, celui de ‘dreadlocks’. C’est
de l’origine de cette tradition jamaïcaine que je vais traiter ici.
L’HYPOTHÈSE INDIENNE
Un chef amérindien du groupe ethnique cree, 1885
En 1985, deux
chercheurs, Ajai et Laxmi Mansingh, ont émis l’hypothèse selon laquelle les dreadlocks
jamaïcaines étaient le résultat d’une influence de coiffures portées par des
travailleurs indiens immigrés en Jamaïque. Dans la culture hindoue, ce type de
coiffures est en effet associé aux hommes sages, les Sadhu.
L’influence d’émigrés
indiens sur le Rastafarisme et sur ceux qui sont considérés comme ses
fondateurs, Leonard Howell et Joseph Hibbert, est attestée par de nombreux
documents.
Mansingh & Mansingh
pensent que l’influence d’ascètes indiens à tresses, qui auraient fait partie
des travailleurs d’origine indienne, se serait produite dans les années 1930.
Elle aurait inclus des tresses de type dreadlocks, appelées jata par les
émigrants indiens. Le chanvre (appelé ganja en Jamaïque comme en Inde) aussi en
serait issu. Tous deux associés au Dieu Shiva en Inde. Comme l’a toutefois
montré Barry Chevannes, une influence des émigrants indiens sur les dreadlocks
des Rastafari à cette époque pose problème. En effet, cette coiffure est
devenue populaire bien plus tardivement chez les Rastas, à partir des années
1950. Avant cette période, les Rastafaris étaient largement associés au port de
la barbe. Mansingh & Mansingh expliquent également que le terme Jah serait
un emprunt à une interjection liée au culte de Shiva ‘Jai’ (plus tard
réinterprétée en Jah à la lecture la Bible). Aussi, un terme autrefois utilisé
par des vieux Rastas pour désigner les dreadlocks, zagavi serait un emprunt Ã
une langue nord-indienne jatawi. Ces deux derniers rapprochements linguistiques
sont toutefois loin d’être conclusifs.
LES MAU MAU
Musa Mwariama (Ã droite), un des leaders du mouvement des Mau Mau, ici avec Jomo Kenyatta
Par ailleurs, il
existe d’autres hypothèses sur l’arrivée des dreadlocks. Il s’agit de celle qui
lie les Rastafari à un groupe de combattants anti-colonialistes kényans appelés
Mau Mau.
Durant les années 50,
la lutte des Mau
Mau contre les colons britanniques eut un fort écho jusqu’en Jamaïque
au sein des Rastafaris. Ce mot devient ensuite synonyme de ‘défiance’ Ã
l’endroit du pouvoir colonial. En 1953, eut lieu en Jamaïque des manifestations
de solidarité des Rastafari avec les Mau Mau. L’année suivante, l’existence
d’un redoutable gang jamaïcain appelé Mau Mau est documentée. Les leaders du
mouvement portant souvent une coiffure similaire, on peut penser que cette
influence des Mau Mau s’est étendue du domaine politique au domaine de
l’apparence.
LE MOUVEMENT DU YOUNG BLACK FAITH
Cette hypothèse d’un
emprunt direct aux immigrés indiens ou aux Mau Mau ne permet toutefois pas de
répondre à un certain nombre d’interrogations relatives aux dreadlocks. L’une
d’entre elles est leur nom même ‘dreadlocks’, nom qui signifie littéralement
les ‘mèches de la peur’.
Dans un article
intitulé ‘The history of
Dreadlocks’ (1994), l’historien
jamaïcain Barry Chevannes (1940-2010) a proposé une hypothèse bien plus détaillée. Selon des
témoignages qu’il a recueilli auprès de vieux Jamaïcains, l’association des
Rastafari aux dreadlocks serait à mettre au crédit d’un groupe de jeunes Rastas
appelé Young Black Faith.
LE YOUNG BLACK FAITH
Si les Rastafaris
sont aujourd’hui associés aux dreadlocks, il est moins connu qu’ils étaient
originellement associés au port de la barbe dans la société jamaïcaine. Cette
association rastafari =barbu est bien attestée dans les années 30. La barbe
était originellement portée par les Rastafaris comme signe de leur caractère
anti-social. En plus d’être associée à l’Empereur Haile
Selassie, elle permettait aux
rastafaris de se distinguer du reste de la société.
Le groupe à l’origine
de l’association des rastafaris et des dreadlocks est, selon Barry Chevannes,
le Young Black Faith. Ce mouvement rastafari est fondé en 1949 par de jeunes
Jamaïcains originaires de la campagne s’étant à installés à Kingston. Ils
allaient y entrer en conflit avec un ensemble de pratiques de Rastafaris plus
anciens comme le fait de brûler des bougies.
Selon les témoignages
recueillis par Chevannes, certains anciens souhaitaient se débarrasser du port
de la barbe. Ils voulaient abandonner cette pratique qui les renvoyait au
mépris de la société. Une première scission entre le Young
Black Faith et les autres
rastafaris de l’ancienne génération se produisit alors. Au sein de
l’organisation même, la rigueur avait conduit ses membres à appeler ses leaders
‘dreadful’ (terrifiants) ou ‘warriors’ (guerriers). Alors que la
consommation du chanvre était de plus en plus réprimée par la police
jamaïcaine, de nombreux rastafaris avaient décidé d’arrêter de fumer. Les
membres du Young Black Faith décidèrent, pour exprimer encore
davantage leur mépris de la société, de rendre sacré son usage.
Dans les années 1950,
en parallèle, la barbe était redevenue courante au sein de la population
jamaïcaine. Notamment en raison de l’augmentation du prix des rasoirs. Selon
Barry Chevannes, l’association des membres du Young Black Faith et de leurs
chefs, les ‘dread’, ‘dreadful’
‘dread warriors’ avec les dreadlocks
serait d’abord provenue des Nazirs de la Bible Hébraïque. Ces derniers avaient
fait vœu de ne plus se couper les cheveux pour se consacrer à Dieu. Elle aurait
aussi été motivée par le port de ce type de coiffures par des marginaux. L’un
d’entre eux, surnommé Bag-a-Wire, était un ancien adepte de Marcus Garvey
maudit par ce dernier pour sa malhonnêteté. Ce port de tresses de type
dreadlocks par des marginaux a-t-il été imprimé dans la culture jamaïcaine par
la vue de Sadhus indiens? C’est possible.il est parfois aussi avancée une photo
de soldats éthiopiens de l’armée d’Haile Sélassié dont l’influence est
possible, mais encore moins démontrable.
L’influence de la
lutte Mau Mau dans les années 50 serait venue s’agréger à ces faits pour
influencer le style capillaire de certains membres du Young
Black Faith. Pas tous, puisque
dans les années 60, le groupe du Young Black Faith était encore divisé entre les
porteurs de dreadlocks et les ‘coiffés’. La suite, on la connaît : la
généralisation de la pratique aux Rastafaris et sa conquête du monde parallèle
à celle conduite par le reggae.
par www.nofi.media
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