Théâtre : La Compagnie de l'Archer fait revivre Harriet Tubman.

Eudoxie Ngnoula dans la peau de Harriet Tubman

C'était au cours d'une représentation gratuite donnée ce mercredi au Laboratoire de Théâtre de Yaoundé OTHNI.

 En ces jours où le racisme refait surface et où dans certains état américains on tend à banaliser les crimes de l'esclavage, un moment ou les jeunes africains aspirent à aller à la rencontre de leur passé, c'est une œuvre exaltante qu'à entrepris cette compagnie venue de Belgique faire redécouvrir une pionnière de la lutte pour l'émancipation des noirs.

Qui était Harriet Tubman ?

Née Arminta Ross autour des années 1820, Harriet Tubman surnommée "Moïse Noir" est l'une des principales figures de la lutte pour l'émancipation des esclaves et dans la défense de la dignité de l'homme Noir.

 Après avoir connu les affres de la condition d'esclave dès l'âge de 5 ans, Harriet Tubman après s'être échappée de la plantation de son maître va aider des centaines d'esclaves à liberer  et les conduira aux travers des dangereuses forêts américaines jusqu'au Canada.

C'est à la découverte de cette héroïne à l'altruisme légendaire, cette femme forte oubliée par de la grande Histoire qui trop souvent ne célèbre que les oppresseurs et les hommes violents  que nous conviait ce mardi 23 décembre la compagnie de L'Archer en s'appuyant sur un texte du dramaturge sénégalais  Penda Diouf mis en scène par le camerounais François Ebouele et interprété par la burkinabè Eudoxie Ngnoula et la caribéenne Dominique Larose.

 

Retour vers le passé.

La machine à remonter le temps s'est donc posée dans la grande salle du Laboratoire de Théâtre OTHNI sis à Essos au lieu dit  Titi Garage à 20h 32 précises ce mercredi 13 décembre 2023. Et, durant les 1h30 minutes qu'on duré le spectacle, ce n'est plus à Yaoundé que nous étions mais dans les plantations , les forêts , les rivières, les fleuves et les champs de bataille des États Unis esclavagiste de la deuxième moitié du 19e siècle.

À l'aide d'un texte puissant et digeste  servi par des artistes d'un autre niveau, le metteur en scène a enfin  donné la parole à celle qui dès l'âge de 5 ans a découvert la douleur du nerf de rhinocéros et qui a dû parfois lutter avec les porcs pour manger des épluchures de patates. Nous avons redécouvert les affres de l'esclavage, l'absurdité d'un système qui fait des hommes la propriété d'autres hommes, l'inhumanité des maîtres et surtout des maîtresses confrontées à leur propre conditions. Nous avons redécouvert un monde que trop souvent l'occidental, imbu de la mauvaise foi du criminel   essaie de banaliser.

La colonisation et l'esclavage à la barre...

La description qui est faite de l'esclavage par la Tubman que ressuscite Penda Diouf est un implacable réquisitoire: Comment ne pas se sentir ému aux larmes devant la description de la première raclée qu'à reçu la jeune Harriet dans la salle de séjour de Mrs Susan, qu'elle est chargée à 5 ans seulement de nettoyer? Quel coeur resterait de pierre devant l'évocation de la fugue et des nuits passées  dans la fange auprès d'une truie à se disputer les épluchures de patates avec les porcelets ? Comment réussir à dormir sans faire des cauchemars quand on apprend que ceux qui se disent civilisés ont dans des affiches placardées un peu partout décrit avec un soin méticuleux l'ensemble des tortures qu'ils feraient subir à cette frêle femme qu'était Harriet Tubman s'ils lui mettaient la main dessus ? Comment rester de marbre quand on apprend que le fruit des entrailles des femmes leur étaient si souvent arraché et que leurs corps , même lorsqu'elles étaient mariées appartenaient aux maîtres blancs qui en usaient et en abusaient ?

Le spectacle se termine sur une énumération de tous ces héros noirs assassinés juste parce qu'il refusaient de se laisser marcher dessus, et fait le lien par delà les siècles et les continents entre l'ensemble des souffrances infligées aux peuples au nom du capitalisme et de ses deux filles l'esclavage et la colonisation.

Une oeuvre plus qu'actuelle.

"Ce genre d'oeuvre mérite d'être montrée" a déclaré une des spectatrices venue avec moi par curiosité mais qui aura fini par être touchée par l'horrible histoire du courage surhumain de Harriet Tubman, avant d'enchaîner "Elle donne une autre perspective aux relations avec les blancs et ne donne même pas envie d'avoir à faire avec eux", des déclarations qui prouvent qu'aussi lointaine que nous paraisse Harriet Tubman,son combat parle à la plupart des noirs y compris les plus jeunes qui n'ont connu ni la colonisation ni l'esclavage mais qui sont au quotidien confrontés à l'arrogance d'un occident qui ne connait que le langage de la violence et refuse absolument d'être interrogé sur ses crimes passés. 

 La lutte de Tubman considérée comme "La Moïse Noire" reste donc d'actualité et le restera tant que l'esclavage et l'exploitation du noir n'auront pas totalement disparu.

L'ultime injustice

Rappelons pour finir  qu'il y a quelques années l'idée de mettre l'effigie de Harriet Tubman en remplacement de celle du président Andrew  Jackson, 7e président des États-Unis, coupable d'avoir arraché les terres des amérindiens et d'avoir causé des dizaines de milliers de mort sur les billets de 20 dollar avait été émise par Barack Obama en 2016. Le projet avait d'ailleurs été validé par le Trésor américain pour un lancement desdits billets en 2020, mais Donald Trump et la grande majorité de l'Amérique blanche ont rapidement critiqué cette idée que Trump, un grand admirateur d'Andrew Jackson a qualifiée de "politiquement correcte" profitant au passage, comble du paradoxe pour faire le procès d'Harriet Tubman, une dernière injustice à l'endroit de celle qui a fini par mourrir dans le dénuement total après avoir parfois payé de sa propre poche pour la liberté des siens.

Joe Biden arrivé au pouvoir en 2020 a relancé le projet et Tubman pourrait donc finalement apparaître sur le billet de 20 dollars qui selon le journal Le Parisien , le billet le plus utilisé aux États

Unis.